samedi 26 décembre 2009

I, 2. Ce bruit métallique de clefs






« N’entre pas sans douleur dans cette bonne nuit »
Dylan Thomas.

Ce bruit métallique de clefs rythmant les jours et les nuits l’apaise. Plus que les gouttes, elle lui donne un sentiment de sécurité. Même si leurs porteurs crient parfois plus fort que les occupant du Pavillon. Les murs et les sols sont très intéressant, pas plus que le plafond moucheté de traces noirâtres et verdâtres dansantes et virevoltantes, lorsque durant de longues heures, elle les observe, couchée sur son lit de Theralène, Risperdal, Lepticur, Tercian, Rivotril, Zopiclone…
Le complexe hospitalier comprend plusieurs structures : de la psycho-gériatrie à la pédopsychiatrie; sis dans un environnement arboré. Elles sont cinq dans la chambre et une vingtaine dans tout le préfabriqué des années soixante-dix; elle n’est pas fermée à clef. Sur sa droite, il y a Isabelle, une trépanée d’une quarantaine; elle n’est plus dangereuse pour elle-même et les autres… Sauf quand n’y pouvant plus de son repas mixé, elle se risque à avaler d’autres trucs… Isabelle, elle leur récite un mantra sans fin à base de borborygmes toute la nuit. Et quand elle prend des coups, ca recommence un ton au-dessus. Que voulez-vous ? Elle n’a plus toute sa tête, mais la toxico en hospitalisation sous contrainte, n‘y entend pas de cette oreille.
Le matin ca l’agresse déjà, il faut s’extirper de sa pesanteur; faire face à la lividité de l‘aube… S’alléger, décharger de son angoisse en focalisant sur le damier noir et blanc…
Ainsi le chemin de croix vers la salle de bain en allant sur les noirs ( parce que souvent le Fou noir peu faire échec et mât avec la reine ). Puis attendre son tour à la douche, en évitant le regard des autres, leurs déjections, et le miroir qui vouvoie…
Leurs occupations principales étaient de s’asseoir en « salle de vie » et de regarder la télévision, pour « plus de cerveaux disponibles »; ainsi que de griller cloppes sur cloppes dans la cours grillagée; mais avant de l’atteindre, il fallait payer la taxe à Bernard, le douanier en chaise roulante. Le doyen de l’établissement, dont la voix était si puissamment courroucée, qu’elle faisait voleter tous les corbeaux du parc. Roger se limitait maintenant à trois paquets de cigarettes « thérapeutique », depuis qu’il crachait du sang avec ses glaires… La radio ne montrait pas de tumeurs, il les enterrerait tous avant… Sa préférée était Zaza, une petite chose pleine de douleurs et de courbatures, qu’on aurait dit sortie d’un clip de Marylin Manson.
Entre les quatre murs de l’aliénation on entendait plusieurs cris distincts. D’abord, le sourd et lourd beuglement du jeune Fabien. Enfermé en lui-même dans son monde autistique. Schizophrénique primaire dont aucun traitements n’étaient arrivés à bout de son anxiété. Son comportement totalement imprévisible et brutale déconcertait les soignants et les patients. Sa grande taille et ses mains disproportionnées, faisait de lui une menace permanente à la sécurité des personnes… Régulièrement il pètait des records : dans le taux limite de glucose par litre admissible physiologiquement avant le coma, ou par une tension artérielle à faire imploser le disque dure…
On pouvait voir ses incessantes déambulations dans les couloirs, par les sillons et renfoncements laissés par son passage à l’aide de son casque et de ses poings… Si les murs pouvaient parler, ils hurleraient leurs douleurs… Au moins il ne se mange plus les bras, car ses dents ont été limées par humanisme…
Allégro, ils y avaient également les cris hystériques de l’actrice fétiche du Pavillon, Yvonne. Une petite fille à la cinquantaine bien tassé, qui donnait le sein à sa multiple progéniture. Ne pouvant s’empêché de tomber amoureuse de chaque infortuné stagiaire mâle. Il n’était pas rare qu’elle simule des actes sexuel à l’heure du repas…
Et, étouffé, presque imperceptible : « ma petite chérie », comme l’appelait un « Bêta », de ce meilleur des mondes… Dans les basses, elle se faisait sauter aux toilettes pour hommes de l’aile gauche.

C’est ainsi qu’au rythme d’une porte d’isolement qui claque; de graves et d’aigües, elle passa sur les noires et accéda à son entretien avec le psychiatre commit d’office…
- Comment allez-vous ce matin Mademoiselle ? Demanda dans un but tout à fait rhétorique le bonhomme affable qui s’avérait être médecin psychiatre diplômé.
- Bonjour Docteur, je vais bien. Dis-elle, les mains entre ses cuisses et la tête basse, dans son pyjama bleu.
- Hum-hum, oui ? Insistant sur les voyelles et l’observant derrière ses lunettes.
- On m’a dit que vous aviez encore des idées noires, et le bandage autour de votre poigné m’indique que vous replongez dans le même processus destructeur.
- Mais ca me fait du bien Docteur ! Comme ca je ne pense qu’à la douleur ! Vous ne pouvez pas comprendre, vous ne comprenez jamais rien !
- Nous sommes là pour vous entendre Mademoiselle, et autant que faire ce peut, calmer vos angoisses… Le travail, et les efforts doivent ce faire des deux côtés; nous avions signer un contrat morale ensemble. Respecter votre intégrité physique, et venir nous voir lorsque vous vous sentez « border line » comme vous dites. Ce qui m’étonne, c’est que vous pouvez très nettement reconnaître les signes annonciateurs, mais vous persistez à vous fermez…
- C’est dommage… Une jeune fille aussi belle que vous !
Interrompit l’infirmière en charge du compte rendu de la consultation.
Légèrement irrité par le commentaire; le médecin tapotait son stylo contre l’accoudoir de son siège. Et de sa voix cyrillique demanda : est-ce que vous avez toujours des hallucinations ?
Le diagnostic de départ, lorsque la croix rouge la découvrit au abord d’une gare; fut aux urgences « un délire à mécanisme hallucinatoire acoustico-verbal, à thèmes polymorphes ( mystique, persécutif ) ».
Tout en fixant un point éloigné dans la perspective que donnait la vitre derrière le psychiatre, elle s’exprima comme suit : « Aimez-vous la viande docteur ? Ce que l’on mange, nous créés. Je contrôle tout ce qui rentre et sort, de l’œsophage au rectum… Regardez moi ! Vous savez qui je suis ? Anabolisme-catabolisme, anabolisme-catabolisme; nous sommes notre propre nourriture ! Vous voyez le sperme, le sperme dans l’œuf ? Les marchands du temple ont falsifié les écritures… Il est mort et bien mort ! »

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