Sur la plage, je lisais « les échos » avec deux jours de retard. Nous étions en pleine crise financière à ce moment là. Les Etats nationalisaient à tour de bras les dettes des établissements bancaires. Les analystes financiers « brainstormaient» sur d’autres titrisations possibles… On s’écriait que les pauvres nous avaient foutu dans la merde à se mettre en faillite personnelle… J’en riais. Les leçons de trading de Damien m’avaient été profitables. Je jouais aussi au casino, mais à tous les coups je gagnais. Il suffisait de parier à la baisse sur n’importe quel titre du SRD. J’engrangeais les plus-values… La psychose d’une grande dépression avait fait son nids dans tous les esprits. Les fonds de pensions retiraient leurs billes à tous prix, même si la capitalisation boursière des entreprises représentait moins que leurs capitaux propres… Les gens sautaient des tours… J’ai ainsi démultiplié mes avoirs en cliquant sur des ordres électroniques d’achats-ventes.
Les imprimeries fabriquaient des billets à profusion. On les jetait même par hélicoptère ! … Quasiment sans valeur réelle, tout juste symbolique. Les chômeurs les utiliseraient bientôt comme papier cul… L’or atteignait déjà des sommets. « C’est l’inflation qui résorbera les déficits », pouvait-on lire. Les photos de consommateurs Allemands dans l’entre deux guerres, achetant leurs pains avec une brouette de papiers, m’effleurait l’esprit…
La loi de l’offre et de la demande est la théorisation la plus pure qui soit. Elle est compréhensible pour tout à chacun. Si il y a moins de demande et que l‘offre reste constante, une régulation devrait donc s’opérer afin de réajuster les prix… Lorsqu’il s’agit du commerce de la chaire, l’offre ne se tarit jamais, même en temps de grisaille économique. C’est ainsi que dans le grand bazar il ne faut pas hésiter à marchander. « Take a look around you. Less customers than usualy ! »
J’avais l’habitude de ne sortir de mon condo qu’après dix-sept heures trente, heure à laquelle la bourse de Paris clôture. Ensuite je faisais quelques longueurs dans la piscine de l’immeuble qui se trouvait au dernier étage. D’en haut, je pouvais profiter d’une vue imprenable sur les petits commerces agglutinées autour d’un des seuls temples de la ville. J’y étais allé un jour, en compagnie d’une autochtone. La majeur partie de l’édifice ce constituait de quatre énormes rampes d’escaliers, ce terminant par une petite plateforme sous un dôme. A l’intérieur de la stupa, nu pieds, l’on devait ramper jusqu’à bouddha et lui offrir un bouquet d’encens et de fleurs. Les plus fidèles collaient de l’or vingt-quatre carats sur son corps. Comme ce peuple n’a pas peur du mélange des genres, dans un angle du lieu saint, entourées des portraits de moines défunts, plusieurs machines à sous sensées lire l’avenir dans les astres, finissaient la visites…
Ce soir là, j’avais rendez-vous dans un restaurant Français, situé sous le « Europeans only ». Très design, l’établissement était l’un des plus chic de l’artère. En traversant la terrasse et la salle de billard, quelques tables intimistes ce trouvaient en retrait au bord d’une verranda donnant sur la mer. Laurent prenait un café, hypnotisé par la finale de Rolland garros retransmise sur écran géant. Le sport ne m‘intéressais pas, et encore moins suivre les exploits sous amphétamines de millionnaires courant après une balle… Quels intérêts ? « Quitte à regarder le sport à la TV, tu devrais en faire. Je ne veux pas être médisant ou alarmiste, mais tu as le teint blanc et cireux d‘un patient en phase terminale… » lui dis-je, le regard capté sur l‘échancrure d‘un dos. Il passa outre l‘ironie, assortie tout de même par un « p‘tit con va ! ». Et se retourna : « Je vois que tu mattes la beauté qui siège derrière nous… Attention Siegfried, celle-ci est au sommet de la chaîne alimentaire ». Habillée dans une robe de soirée noire, une femme s’y distinguait. Il émanait d’elle une aura d’harmonie, aux gestes emprunts d’une grasse toute orientale. Je n’écoutais plus Laurent… On aurait dit que chacun de ses mouvements retraçaient une scène mythologique. Sa tenue était comme une seconde peau, mon regard pouvait caresser chaque muscles de son corps finement ciselé. Si la première impression est la bonne, je me suis laissé envoûté par son charme vénéneux. Car elle dominait dès l’instant où son regard croisait sa proie… Attirée, elle s’est glissée majestueusement entre les tables, pour se lover entre nous. « Alors Laurent ! » dit-elle en souriant, de sa dentition parfaite. Son visage ne portait pas les stigmates de l’âge, seules les marques d’un sourire permanent. « Tu ne me salues pas ? Qui est donc ton nouvel ami ? ». Embarrassé il me désigna en levant le menton : « Katsumi, voici Siegfried, un compatriote. ». « Je suis ravis de vous rencontrer Madame », dis-je, me voulant tout autant révérencieux que son maintien l‘exigeait. « Oh Madame ! Mademoiselle s’il vous plaît ! Je n’ai pas assez d’un homme, pour être une Madame. ». Je lui baisa le dos de la main. « Tu es charmant jeune homme ». « Votre Français est parfait, et votre accent un ravissement Mademoiselle ». Elle se tint les joues des deux mains rapidement, puis dit : « Je l’ai appris dans un lycée Français ». « Et d’où venez vous exactement ? » Lui demandais-je interloqué. Car non seulement elle maîtrisait parfaitement la langue, mais en plus sa peau blanche lui donnait d’avantage l’air d’être Japonaise que Thaï. « Je suis née à Bangkok et y ai fait toutes mes études. Je viens me divertir dans cette ville de temps en temps. ». « C’est une petite fille riche et capricieuse, oui ! », intervint Laurent d’un ton laconique comme à l‘accoutumé. Il y avait quelque chose en elle, d’une grande maturité, que sa physionomie ne reflétait pas. Les yeux plissés vers lui, elle tira la langue. L’on éclata tous de rire. Elle était issue de l’aristocratie. La famille avait fait fortune dans les essences rares et le teck en particulier, dont il possédaient des forêts entières jusqu’au Laos…
Nous continuâmes notre discussion confortablement installés devant le flot permanent de la foule multicolore; laissant Laurent au bar, à parler business avec un propriétaire de fitness pour occidentaux friqués. Nous observions la même chose dans cette profusion ininterrompu : Le petit jeu des gosses vendeurs de fleurs et autres bracelets fluorescents. Ils s’accrochaient tels des sangsues aux flancs des touristes pour leur vendre. L’agressivité les agitaient… « Tu vois cette enfant Siegfried ? J’aurais pu être comme elle, si mon âme n’avait pas migré dans la bonne famille… », me dit-elle pensive, son teint empourpré par les néons. « Tu crois à toutes ces conneries de métempsychose ? J’ai vu une de vos émissions, dans laquelle un moine expliquait sans sourciller, qu’un homme ayant dans une autre vie castré un chien était dans la seconde atteint d’un cancer des testicules… ». Elle s’esclaffa, « Effectivement, c’est un enseignement de la loi karmique. Cependant, la simplification est de mise pour la masse. J’ai étudié nombre de philosophies. J’adhère le plus facilement au texte de la Bhagavad-Gîta. Evidemment tout livre de foi est métaphorique… mais connais-tu ? ». J’avouais, plus qu’imparfaitement. « En substance, Arjuna fils héritier d’un royaume, devait combattre sur un champ de bataille sa propre famille, car telle était la volonté de Krisna. Il faut se livrer corps et âme dans les combats de la vie. Puisque la mort n’est rien, il faut accueillir toutes les expériences en soi, bonnes ou mauvaises, peu importe... Le Brahman, dans ce cas particulier, peut advenir en taisant le tumultueux ego dans un bain de sang fratricide »
- Agir sans être lié à ses actes… Personnellement je me nourris de tout, dis-je. « J’aime comme j’haïs. Je ne me soucis plus guère de la morale. En ce sens je tends vers la liberté la plus grande… ».
« A vrai dire, je m’ennuis Siegfried. Je crois pouvoir dire que nous nous ressemblons. Ma fortune m’a permis de me libérer des contingences matérielles. J’ai traversé le monde et observer les hommes, leurs coutumes, leurs façons de vivre. J’en ai tiré un enseignement édifiant. Malgré le sentiment de puissance que la connaissance prodigue, j’ai vite été rattrapé par la solitude... »
- Je ne saisis pas, dis-je, fasciné…
« L’un de vos philosophes a décrit cet état par l’allégorie de la caverne. Regarde tous ces esclaves enchaînés à leurs croyances erronées, ne voyant pas plus loin que le bout de leur verge. Tu es tout autant fatigué de porter le poids de la vérité. »
- A mon sens, je suis le seul dieu qui existe…
« Et je sens en toi une fureur grandissante. Si tu es un dieu, tu serais celui de la destruction ! ». Elle était tout à fait en phase avec mes propos.
Tendant l‘index vers la rue, « Oui, il veut faire disparaître toute la création. Le cycle est bientôt clos. Le serpent se mord la queue…
« Sais-tu que les étrangers se suicident d’avantage ici, que n’importe où ailleurs dans le monde ? »
- Pourquoi selon toi ?
« Et bien… Ils viennent assouvir tous leurs fantasmes à sin city. Quand ils s’aperçoivent que malgré toutes les drogues et la multiplications des rapports sexuels, cela n’est toujours pas suffisant à ce qu’ils croient être le bonheur… Ils s’arrêtent… interrogatif devant le néant : Qui a-t-il au-delà ? »
- Aurais-tu la réponse ? Ai-je demandé en dodelinant de la tête.
Elle lécha ses lèvres. « Je pourrais te prendre sous mon aile, et partager mon royaume avec toi… »
Ses seins pointaient sous sa fine robe de soie, comme si elle était en proie à une vive sensation…
- J’ai faim ! Répondis-je, gargantuesque, main sur la panse.
« J’espère que tu as bon appétit »
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