samedi 26 décembre 2009

II, 2. Je restais sidéré sur mon fauteuil


« Un jour tu ne verras plus tes hauteurs mais tu verras de par trop près ce qui est bas; ce qu’il y a en toi de noblesse se remplira de crainte comme un fantôme. Tu crieras un jour : « Tout est faux ! »
Il y a des sentiments qui veulent tuer le solitaire; s’ils n’y parviennent pas, c’est eux-mêmes qui doivent mourir ! Mais es-tu capable d’être meurtrier ? ».

Ainsi parlait Zarathoustra
« De la voie du créateur »
Nietzsche


Je restais sidéré sur mon fauteuil. Le goutte à goutte du café noir en métronome. Les yeux dans le vide. Frissons sur l’échine. Sensation de flottement. Images du passé défilant; présent cristallisé dans le doute; et Méphistophélès susurrant à mes oreilles…

A Nancy j’avais poursuivi des études en psychologie. Cette période charnière de la vie devait mener tout étudiant à ce projeter vers une profession, un titre. Mais je n’arrivais pas à me définir dans une catégorie particulière. J’essayais de me convaincre que la vie étant mouvement, telle une sculpture de Giacometti… Je devais avancer coute que coute…
En somme, j’avais une diversité de choix que mes parents auraient envié. Et qu’ils m’offraient grasse aux fruits de leurs économies. Je me devais de réussir, il le fallait; comme une projection sur la génération suivante, d’une fierté retrouvée…
L’apprentissage des abstractions techniques mené à des extrêmes devait asseoir ma position sur une strate supérieur de la pyramide sociale. Et d’ainsi me faire du fric, sur la rente de mes diplômes.
Cependant je me voyais plus comme un prolétaire au sens noble du terme. Je trouvais plus de plaisir dans les travaux manuels, tels que j’ai pu en réaliser avec mon père. Poser du parquet ou repeindre des murs est en soit d’un contentement bien supérieur, dans le recul, qu’une masturbation métaphysique… La perte du réel, voilà le cauchemar de l’homme moderne !

Ma voie commençait à devenir chétive, dans l’habitude de la solitude. Mes interactions avec les vivants se réduisaient à peau de chagrin. Ma perturbation nycthémérale faisait me réveiller lorsque la nuit tombait. Je ne sortais plus que pour ramener des vivres. Et cela me demandait chaque fois plus de courage et de préparation. Je me chauffais tel un acteur entrant en scène : « Bonjour un tel, je voudrais une baguette de pain, et trois torsadés s’il vous plaît. Merci, au revoir … »
La contrainte nerveuse était d’une souffrance telle, que j’en partais en trémolo.
Lorsque par nécessité, je devais m’absenter pour un long trajet de mon cocon, je marchais en pantin désarticulé et maniéré. Clopin-clopant, clopes sur clopes; yeux rivés sur la montre, tête basse; entrecoupé de regards paranoïaques, j’en faisais fuir même les cailleras à la chaussette sur le dessus du jogging, c’est dire…

Le moment culminant des non-évènements de cette triste période fût ces pensées parasites que mon système immunitaire essayait de combattre.
Comme à l’accoutumé j’entrepris de dormir avant que le soleil ne darde ses premiers rayons. Ma voisine ouvrit l’eau de sa salle de bain, et crachait ses poumons avec une précision horlogère. J’entendais ses talons dans l’escalier un peu plus tard, et attendais ceux des autres habitants… Portes de voitures qui claquent, voix étouffées. Le calme revenait. Et je posais mon dos endolorit par une nuit de lectures…
Penser est un acte courant; analyser des souvenirs, ce projeter,… Mais un autre parlait à ma place, il ruminait en moi. A côté, sans y être, il prenait toute la place, et me disait : « N’aies pas peur ! »
Quelle terreur d’appartenir à un autre, sans que l’on puisse le pousser physiquement, par un geste de défense de son territoire…
Je l’entendais comme je vous entends à l’instant. Il m’a dépossédé de ce en quoi je tenais le plus. De ce qui me faisait encore appartenir au genre humaine. un Ego…

D’abord j’en perdis le sommeil à me retourner ainsi sur moi-même. Qui étais-je réellement ? Un assemblage composites de diverses personnalités que j’avais pu imiter, un ersatz ? Mais alors dans ce cas, qui est-ce que je voyais dans ce miroir ?
La réponse était évidente et avait de multiple implications. Les reflets soufflaient :
« Puisque tu étais le fruit de toutes les âmes du monde que tu avais pu expérimenter par la pensé, tu étais capable de devenir qui tu voulais.
- Et, n’ayant plus de bornes définit, étant la multitude incarnée en un seul homme; devrais-tu être encore considéré comme faisant parti de cette race ? Avais-tu atteint le stade ultime de l’évolution ?
- Si telle était bien ta condition, tu n’es plus soumit à leurs lois…
- n’aies pas peur ! … n’aies plus peur ! …
- Tues les tous !

Ces étranges dialogues corrodaient mes terres…
Et au loin, tapis dans le centre d’un Univers qui m’appartenait jadis, je crus entendre le hurlement d’un loup…

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